Le BIO a-t-il un avenir dans notre région ?
Pascal Eynard-Machet, adjoint au maire de Publier, rencontre Christine ENGELKING et Denis DUTRUEL, de l’exploitation maraîchère « Le Vert de Terre » qui a désormais le label AB « Agriculture Biologique ».
Pascal Eynard-Machet : Vous venez d’obtenir votre label AB, Agriculture Biologique. Comment définissez-vous ce label en quelques mots ?
Le Vert de Terre : La définition est très simple, il suffit de répondre précisément à un cahier des charges européen qui nous impose, entre autres, de n’utiliser ni pesticide, ni engrais chimique.
P E-M : Vu ainsi, cela paraît simple, mais quelle est la principale difficulté à maîtriser, pour avoir ce label AB ?
L VdT : Le plus dur, ça a été l’administratif. Il faut une traçabilité sur tout. Tout justifier, lieux et dates de plantation. Origine du plant. Origine des engrais organiques Bio… Il faut tout écrire ce que l’on fait : « aujourd’hui, on a planté ces plants, acheté chez un tel ; avant, on a étendu 40 tonnes de fumier sur telles parcelles. Le fumier vient de chez X … »
P E-M : Et sur le terrain, qu’est-ce qui a changé chez-vous ?
L VdT : Le gros problème du maraicher, ce sont les mauvaises herbes. Notre évolution s’est faite au fur et à mesure du temps. En 90 quand on s’est installé, on utilisait des désherbants pour tout. Doucement, on a lâché, on est passé au paillage. Il n’y avait plus qu’une culture sur laquelle on faisait un traitement, c’était la carotte. Tous les deux ans, je faisais analyser mes carottes pour savoir s’il y avait des résidus.
La plus grande difficulté du Bio, c’est le désherbage qu’on doit faire à la main. Il faut donc appliquer, même trouver, des techniques qui permettent de minimiser ce travail. Nous, on met des bâches noires, à base de maïs, au sol, pendant 2 mois environ, et on laisse faire le soleil. Les graines qui vont germer pendant cette période vont se faire brûler. Ce qui permettra à nos futures plantations de pousser sur un terrain qui aura environ 80% de mauvaises herbes en moins. Les 20% restants s’enlèveront manuellement.
Après, ces 80% peuvent se réduire en peau de chagrin en fonction du temps, de la sécheresse ou si on est victime d’une inondation. L’an passé, les bâches n’ont eu aucun effet. Avec un sol trop sec, les graines sont sorties plus tard. Il a fallu « se coltiner » le désherbage 2h de temps chaque matin, à 6 personnes.
P E-M : Le manque d’eau ne pourrait-il pas être compensé par la récupération de nos eaux sales (vaisselle, salle de bains, toilette…) comme on commence à entendre parler actuellement ?
L VdT : Le gros problème, ce sont les médicaments qu’on absorbe pour se soigner. Ils sont présents dans toutes ces eaux. On ne s’est pas encore renseigné sur le sujet et on ne sait pas ce que le Label AB autorise ou interdit à ce propos. Cela nous fait un peu peur pour l’instant. Il faudrait vraiment qu’on soit rassuré pour tenter l’expérience.
Il y a des choses qui peuvent être autorisées mais qui ne nous semblent pas très logiques. On est contrôlé, on respecte le cahier des charges, on a donc notre tampon AB. Mais on aimerait aller au-delà. Au niveau agronomie, peu de choses nous sont imposées. Nous, on serait plus dans la biodynamie : étudier la structure de son sol pour en améliorer ses qualités. Mieux nourrir et soigner ses légumes, avec éventuellement des produits à base de plantes… ce qui est bien plus intéressant pour l’environnement.
Le Bio n’est pas que pour le bien du consommateur, il est aussi pour le bien de l’environnement, la protection des sols, des nappes phréatiques…
P E-M : Avec le Bio, les gens pensent que c’est un bon moyen de vendre plus cher vos produits. Que répondez-vous ?
L VdT : Il faut venir sur notre exploitation quelques jours pour s’apercevoir que le poids de la main-d’œuvre tient une part très importante dans notre activité. C’est ce coût de main-d’œuvre qui impacte le prix final. En production Bio, l’impact est encore plus important. Dans notre cas, notre technique de production était déjà gourmande en main d’œuvre avant le label, le coût final n’évolue donc pas beaucoup.
Les subventions pour le Bio sont surtout tournées vers une prise en charge partielle du coût du matériel, style matériel d’irrigation… Mais jamais on ne nous parle de subvention sur la main-d’œuvre. Et pourtant, nous, on crée de l’emploi. Ce serait gagnant pour tout le monde si, au lieu de subventionner le matériel qui vient d’on ne sait où, on subventionnait l’emploi de personnel.
En regardant bien l’avenir, l’idée de taxer les machines depuis des décennies, devient une urgence. Avec l’intelligence artificielle qui se profile, on aura encore beaucoup plus de machines et encore beaucoup moins de personnes au travail. Le peu qui va rester ne pourra plus supporter d’être taxé pour nourrir les autres.
P E-M : Vous êtes donc contraints à vous mécaniser au maximum ?
L VdT : Pour mécaniser, il faut raisonner « monoculture ». Ce système semble être une solution pour rentabiliser une exploitation et le matériel nécessaire à cultiver un seul produit. Mais, en faisant la même culture sur 5 hectares, les prédateurs vont vite s’installer et la rotation des cultures ne se fera plus. On va donc appauvrir notre sol, d’où un besoin permanent d’engrais…
On ne trouve pas cela intéressant. Nous, on a plein de petites cultures sur plein de petites surfaces. Du coup, ça a créé une diversité biologique. En revanche, on ne peut pas mécaniser en grand, avoir des machines adaptées à chaque produit. On a donc besoin de main-d’œuvre.
Ce qui nous fait dire que, pour ces petites exploitations, ce n’est pas du matériel qu’il faut subventionner, mais la main-d’œuvre.
Dans notre système, on coche toutes les cases de la biodiversité. On a toujours des bandes fleuries, des bandes enherbées, des cultures qui ne sont pas terminées, d’autres qui commencent… On a donc un équilibre biologique qui est constant. Un système qui nous permet d’avoir très peu de prédateurs, donc très peu de maladies.
Actuellement, on se protège des herbes indésirables dans nos cultures avec du paillage plastique biodégradable, à base de maïs, sur une largeur de 140. On laisse en herbe les allées des roues du tracteur sur 50 cm que je nettoie au coupe-bordure. Une herbe qui profite à la culture en retenant l’humidité et qui n’est pas désagréable à voir dans nos jardins.
P E-M : L’obtention de votre label AB va donc vous contraindre à augmenter vos prix ?
L VdT : Ne croyez pas qu’on ait le pouvoir de fixer les prix… Sur les marchés, nous sommes en contact direct avec le client. En début de saison, on revoit nos prix par rapport à l’an passé. Mais on voit tout de suite si on est « dans les clous ». Si ce n’est pas accepté par les clients, tu ne vends plus rien. En baissant le prix de quelques dizaines de centimes, ça repart. Nous ne sommes donc pas maîtres de nos prix. C’est le client qui fixe son prix.
Il nous faut donc faire attention pour ne pas être en dessous de nos coûts de production. La main-d’œuvre doit être payée, ce qui augmente le coût du produit. Mais le client n’accepte pas et se retourne vers les produits étrangers qui eux n’ont pas les mêmes contraintes que les nôtres.
P E-M : L’avenir semble plutôt morose pour fournir ce besoin vital à l’humain : sa nourriture.
L VdT : Ne perdons pas espoir. Il faut d’abord éviter de « bouffer » du terrain agricole qu’on remplace aujourd’hui par des zones industrielles, commerciales …
Nous, nous cherchons à soigner les plantes par les plantes. Un terrain inexploité de nos jours mais qui l’était encore il y a quelques siècles. Prenez le purin d’orties qui fait l’objet d’un arrêté. C’est un produit Bio, naturel, qui ne coûte rien, mais qui a du mal à faire partie des PNPP (Produits Naturels Peu Préoccupants).
Il faut qu’on repense tout cela. Ce n’est pas facile, car ce sont des produits qui échappent à la grande distribution et qui ne rapportent rien côté taxes… Pourtant, les choses pourraient avancer différemment sans ces lobbyings qui défendent d’autres intérêts…
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